mercredi 4 août 2010
Officiers du Port au Maroc
Of f icier s de por t du Maroc
Par Najib Cherfaoui, Ingénieur des ponts et chaussées
Résumé :
Depuis 1260, la tradition marocaine témoigne de l’apport précoce du génie des
ancêtres des actuels officiers de port du Maroc à la diversité portuaire et maritime
du monde : génie qui réside dans l'art d'organiser un corps de métier uni, parlant
plusieurs langues, partageant des valeurs, un passé et aussi un avenir solidaire.
Aujourd’hui, ce fabuleux héritage est mis en péril par l’ignorance des choses de la
mer et par l’absence totale de culture portuaire. Il est donc venu le temps
d’apprendre à conserver pour transmettre. C’est le seul moyen de maintenir un lien
fertile entre nos ancêtres et nos enfants, de lancer le défi de la mémoire vivante et
de lutter contre l’oubli.
Officiers de port du Maroc
Par Najib Cherfaoui, Ingénieur des ponts et chaussées
A. Métier très ancien
L’officier de port est le plus ancien des agents d’autorité : on le trouve dès l’Antiquité dans les
civilisations maritimes de la Méditerranée et de l’océan Indien.
Sans remonter au code de Hammourabi, roi de Babylone (1 800 ans avant J.C.) ou encore plus loin à
l'Égypte pharaonique (2 000 ans avant J.C.), on peut dire, sans doute, qu'à Athènes les
« Liménarques » (gouverneurs de port) sont les grands ancêtres des actuels commandants de port.
À partir de l’époque romaine, l’officier de port veille à l’intégrité du littoral et à son libre emploi par tous,
puisqu’il relève de la chose publique. À Pise en 1162, il porte le nom caractéristique de Capitanei portus. À
Gênes, il est Consul introitus maris, c'est-à-dire responsable de l’accès à la mer. À Mazagan, au XVème
siècle, il s’appelle « Alcaide do mar », littéralement chef de la mer.
Aujourd’hui, une même entité, «la capitainerie», regroupe le corps des officiers de port. Leur rôle est à peu
près le même partout dans le monde : organiser l’accueil des navires et de leurs chargements ; autoriser les
transbordements ; prévenir les déballastages sauvages ; affecter les postes de mouillage, d’amarrage et
d’accostage. Ils supervisent la sortie des matières dangereuses, encadrent la lutte contre la pollution et
instruisent les manoeuvres d’approche et de repérages VTS (Vessel Trafic Services). Enfin, ils ont la charge
essentielle de préparer les éléments de facturation relatifs aux droits de port sur les navires et les
marchandises.
B. Tradition marocaine
De 1260 à 1906, dans le contexte des côtes atlantiques marocaines, un port comprend deux zones : la rade
et le rivage terrestre, séparés par un haut-fond de sables, appelé barre. Ces deux parties sont reliées par
des barcasses, propriété du Sultan, et dédiées au chargement ou au déchargement des navires qui jettent
l’ancre à plus de 500 m de la côte. Par mer agitée, le déferlement de la houle sur la barre rend difficile, voire
impossible, le travail des barcassiers.
Tout au long de cette époque, l’administration générale des ports marocains repose sur le « Raïs Al Marsa »
ou capitaine du port et sur le receveur de la douane, « amine adiouana », nommés tous deux par le Sultan.
Le receveur, assisté par des préposés « oumana », vérifie les déclarations des commerçants et contrôle les
droits à encaisser sur les cargaisons.
En 1830, à Mogador, sous le règne du Sultan Moulay Abderrahmane, le Gouverneur cumule sa fonction
avec celle d’administrateur du port et de régisseur des taxes.
Son successeur, le Sultan Sidi Mohamed nomme en 1862, un ensemble de fonctionnaires pour superviser
et gérer les finances portuaires, ainsi à Mazagan (El Jadida) et à Mogador (Essaouira). Ils se composent du
Raïs (chef de port), de son adjoint et de quelques notaires (Adouls).
En 1901, le Sultan Moulay Abdelaziz confie au Caïd Ben M’Barek Chtouki la surveillance des côtes du
Sahara marocain, jusqu’aux confins de Cap Bojador (Boujdour).
Le Raïs s’occupe de la corporation des barcassiers et du traitement des navires. Il décide seul de
l’organisation du travail, de la répartition des barcasses entre les navires, de l’opportunité ou non de sortir
suivant l’état de la barre ; et règle entre les barcassiers tous les différends d’ordre privé. Sa décision,
3
irrévocable, est quoi qu’il en soit toujours acceptée. Les affaires courantes sont expédiées par le « Fquih »,
sorte de secrétaire du Raïs. Le Fquih est un lettré, qui tient les comptes, perçoit les frets et paye les salaires.
De plus, il a le devoir de calculer l’heure et la hauteur de la marée, chaque jour ; autrement dit, il est aussi
responsable du service hydrographique.
figure 1 : Dahir du Sultan Moulay Abdelaziz (20 avril 1901) par lequel il charge le Caïd Ben M’Barek Chtouki de la surveillance des côtes
sahariennes de la ville de Tarfaya à Cap Boujdour. Ce document témoigne de l’importance qu’accorde traditionnellement l’État marocain
aux choses de la mer.
Le Makhzen fournit le matériel nécessaire à l’aconage, et les gains correspondants sont partagés
entre les barcassiers.
Ainsi, la corporation de Salé comporte, à la fin du XIXème siècle, 200 marins qui arment 8 grandes
barcasses à 6 paires d’avirons ; celle de Casablanca dispose d’une dizaine de barcasses de 12 tonnes.
À Tanger, au début du XXème siècle, la manutention à bord est assumée par 80 bahriya (matelots),
dirigés par un Khalifa ; chaque barcasse est montée par cinq bahriya, le chef tient le gouvernail. Le
travail à terre est confié à 150 hammala (portefaix) sous les ordres de quatre moquadems.
On retiendra en substance que, dans le contexte marocain, les officiers de port ont assuré, du milieu
du XIIIème à la fin du XIXème siècle, la triple mission de recevoir les navires, de veiller aux
transbordements et de percevoir les droits de douane y compris les taxes de manutention. C’est la
raison pour laquelle ils devaient également diriger le service de l’aconage, c'est-à-dire gérer tous les
moyens en hommes (barcassiers, dockers, magasiniers, grutiers) et en matériels (barcasses,
remorqueurs, grues, stockage).
Cependant, durant la première décennie du XXème siècle, le corps des officiers de port sera
volontairement écarté, d’abord en raison de la convoitise du monde de la finance, puis à cause des
vicissitudes de la première guerre mondiale.
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figure 2 : Abderrahman EI Alami, Raïs des barcassiers du port de Mazagan (El Jadida) et fidèle serviteur de l'aconage du 2 juin 1914 au
15 mars 1928.
C. Banques et arrogance (1904-1913)
Au cours de la première décennie du XXème siècle, les officiers de port du Maroc sont écartés au profit d’un
organisme de recouvrement bancaire totalement étranger aux choses de la mer : c’est le service de la
« Dette ». Ce mode de gérance, essentiellement financier et très éloigné de la profession portuaire, se
révèle désastreux. Cet épisode, certes singulier, mérite d’être conté car il montre l’importance d’accorder
aux capitaineries la nécessaire autonomie marine par rapport aux contingences terrestres.
Tout commence en 1904, lorsque le Sultan Moulay Abd El Aziz conclut un emprunt avec un Consortium de
bailleurs de fonds à la tête duquel se trouve la Banque de Paris et des Pays-Bas. En contrepartie, le
recouvrement des créances est directement prélevé sur les caisses des douanes et donne lieu à la
fondation, à Tanger, d'un organisme central appelé Emprunt Marocain. Ce dernier délègue alors un agent
dans chaque port afin de se faire remettre par les « Oumana » une partie des recettes.
L'Acte d'Algésiras, signé deux ans plus tard (1906), accroît l’emprise de l'Emprunt Marocain sur la
communauté portuaire. Les nouveaux contrôleurs, la plupart détachés des douanes tunisiennes, s’installent
dans tous les ports du Maroc (21 juillet 1906).
Trois ans plus tard, la Trésorerie étant à sec, le Makhzen charge le vizir El Mokri de négocier une rallonge
supplémentaire à Paris (14 août 1909), qui ne sera ratifiée que le 4 mai 1910. La Banque d'État du Maroc,
émanation de la conférence d’Algésiras, conclut alors avec le Sultan Moulay Hafid un prêt de 90 millions de
francs.
Pour l'exécution de ce nouveau contrat, on établit une Administration unique, appelée « Contrôle de la Dette
Marocaine » ou plus simplement « la Dette ». Usant de ses pouvoirs et de ses attributions, la Dette tente de
prendre en mains l'exploitation des ports en intégrant la surveillance maritime. En particulier, le service de
l’Aconage lui est subordonné. La tentative se solde par un échec, notamment en raison de l’inaptitude des
contrôleurs à maîtriser le segment marin, c'est-à-dire le métier de base des officiers de port. Plus
précisément, les agents de la Dette se révèlent incapables d’accéder aux navires pour inspecter les cales ;
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ils ne peuvent donc pas vérifier la conformité du manifeste avec la quantité et la variété des marchandises
effectivement présentes à bord. Il s’ensuit des différences énormes entre les montants facturés et les
montants réels. En conséquence, le déficit devient chronique et la Dette finit par comprendre la nature
marine de son handicap, reconnaît son propre échec et décide, le 15 mai 1913, de s’en remettre aux
militaires.
figure 3: Derniers raïs marocains de Salé, actifs jusqu’à la fin du XIXème siècle ; fiers descendants des fameux corsaires.
D. Ordre militaire (1913-1915)
Après le retrait de la Dette, le service de l’Aconage passe sous la responsabilité de l’Officier de Marine
chargé de remplir les fonctions de Capitaine du Port, c'est-à-dire d’exécuter les tâches
traditionnellement effectuées par Raïs Al Marsa (articles 8 et 15 de l’Arrêté du 15 juin 1913 portant
réorganisation du Service de l’Aconage dans les ports de l’Empire Chérifien, B.O. n° 37). Ainsi, le
poste d’Officier de Port est confié à des militaires de carrière.
L’Arrêté distingue les bâtiments à vapeur et à voile ; il définit, selon cette classification, la clé de
réservation des barcasses et des mains, avec priorité aux dessertes régulières. Sous peine d’être
rejeté en fin de liste d’attente, on exige de tout navire le plein emploi des moyens mis à sa disposition
en respectant les cadences prescrites et les délais convenus.
Enfin, il est révélateur de constater que ce texte ne fait à aucun moment référence au corps des
officiers de port ou au concept de capitainerie : pour cela, il faudra attendre trois autres années,
c'est-à-dire le Dahir de 1916.
E. Regain (1916 ─1924)
Au milieu du conflit mondial (1914-1918) paraît le premier Dahir (7 mars 1916, B.O. n° 177) qui fait
clairement référence à l’Officier de Port et au maître de Port. Ils sont mis d’emblée sous les ordres de
l’Ingénieur du Port relevant de la DGTP (Direction Générale des Travaux Publics annoncée dès 1912,
B.O. n° 1 ; puis instituée par le Dahir du 24 juill et 1920, B.O. n° 409).
6
figure 2 : Au centre, tenant le manteau sur le bras, on voit Monsieur l’ingénieur Yves Bars, auteur du fameux code des ports de 1961.
Visionnaire, il favorise la participation des opérateurs privés en faisant du régime des concessions la règle. Il prolonge en cela la logique
inaugurée deux siècles plus tôt par le Sultan Sidi Mohamed Ben Abdallah. Il organise et facilite, à partir de 1943, le trafic des conteneurs à
destination du Maroc. (Photo prise le 29 janvier 1950 lors de l’inauguration des installations de l’Énergie Électrique du Maroc, ancêtre de
l’actuel ONE).
L’objet de ce Dahir consiste à doter le pays d’un code uniforme de police1 des bassins et des quais.
Sa composition est classique ; il s’agit de définir les droits et les devoirs des usagers : mouvement et
stationnement des navires, chargement et déchargement, lestage et délestage, incendie, matières
dangereuses, pénalités et infractions.
Cependant, en raison de la guerre, le texte reste muet sur la nature des activités du port (commerce,
plaisance ou pêche).
Toutefois, vu les circonstances, on a bien pris soin de rattacher directement la capitainerie à l’Officier
de Marine remplissant la fonction de Directeur du Port. L’ordre militaire continue donc de régner sur
les quais, mais cette disposition a le mérite de préparer l’avenir et d’anticiper le reversement
progressif de la chose portuaire dans le champ civil. D’ailleurs, l’article 2 admet explicitement la
nécessité de créer un cadre spécial d’Officiers et de Maîtres de port. En fait, leur existence légale ne
sera effectivement évoquée que quatre années plus tard dans l’Arrêté du 28 juillet 1920 portant
création de la DGTP (B.O. n° 409). Ils sont regroup és dans le cadre du service maritime spécial
(article 6). Cet article prévoit les grades, c'est-à-dire les paliers de qualification, et les classes, c'est-à-
1
D’une façon générale la loi distingue, en matière de police, la police du maintien de l’ordre, la police judiciaire (recherche des crimes et délits) et la police
administrative spéciale, qui sanctionne des infractions aux règlements en matière portuaire, domaniale, forestière ou aérienne pris « en vue d’assurer le
maintien de l’ordre public ». Il n’existe pas de définition nette de l’ordre public. On peut dire qu’il s’agit d’assurer la marche des services publics. Par ailleurs,
la distinction entre police judiciaire et police administrative n’est pas absolument tranchée et les polices empiètent les unes sur les autres. Parfois les
sanctions administratives et les sanctions judiciaires se cumulent. Ainsi, une infraction aux règles de police administrative spéciale, comme une atteinte au
balisage, peut donner lieu à des poursuites pénales qui nécessiteront l’intervention de la police judiciaire, ou demeurer une simple infraction objective
sanctionnée par une amende administrative. De plus, la multiplicité des polices dans les ports, les interférences entre services et la complexité des régimes
juridiques sont une source considérable de difficultés. Aujourd’hui, les officiers de port, même employés au sein d’une agence et rémunérée par elle,
interviennent en fait dans un cadre qui dépasse totalement cette agence : ils agissent en tant qu’agents dépositaires de l’autorité de l’État.
7
dire le degré d’ancienneté dans chaque grade : capitaine principal de 1ère ou 2ème classe, quatre
classes pour les capitaines et lieutenants. Cependant, de manière sommaire et arbitraire, l’article 15
dispose que les officiers de port sont recrutés parmi les officiers de la Marine, les capitaines au long
cours, ou les candidats justifiants de titres suffisants.
figure 3 : Port de Casablanca en 1924 ; barcassiers déchargeant des tonneaux et des sacs contenant du coton au moyen de grues à
vapeur de 2 tonnes.
F. Âge d’or (1925 ─ 1960)
Dans le sillage de ce début de reconnaissance, l’Arrêté du 20 juin 1925 (B.O. n° 663) conforte la
position de l’officier de port dans le paysage portuaire. Désormais, on lui attribue un uniforme tenant
compte de la saison, bleu en hiver, blanc ou kaki en été. L’emblème de la casquette se compose
d’une ancre incuse dans l’étoile du drapeau marocain. Des fils dorés symbolisent le grade ; ils sont
apposés sur la casquette et sur les manches, à raison de quatre traits pour les capitaines principaux,
trois pour les capitaines, deux pour les lieutenants, un pour les maîtres de port.
Cela étant, c’est à l’Arrêté du 15 mai 1930 que revient le mérite d’asseoir définitivement le statut de
l’Officier de port en termes de profilage, d’expérience et d’ancienneté. Le législateur a enfin fini par
comprendre le haut degré de qualification marine exigé par l’exercice de cette profession résolument
tournée vers les océans (article 22, p.617 du B.O. n° 916).
Dans le même esprit, l’Arrêté du 13 mai 1932 (B.O. n° 1023) traduit parfaitement cette prise de
conscience en accordant une minutieuse attention à l’habillement. Il reformule la texture de l’uniforme,
expose le concept de grande tenue avec épée d’apparat et introduit la notion de galons pour marquer
les grades.
8
G. Police des ports de commerce
En 1961, Monsieur l’ingénieur Yves Bars2 produit, sous forme de code, un travail majeur qui
synthétise trente années d’interrogations, de réflexions et de maturation nourries par la vie
mouvementée du port de Casablanca. Nous pensons en particulier aux bombardements de novembre
1942, tout à fait éprouvants, conséquence de la fameuse « Opération Torch »3.
Ce code, très élaboré, consacre la fonction d’officier de port. Il traite de la police dans l’enceinte des
ports de commerce du Maroc du point de vue de la circulation et du balisage. Il organise le référentiel
des exigences relativement aux navires (séjour, manutention, pollution, mesures contre l'incendie,
échouement dans les darses … ).
Toute embarcation est soumise au contrôle de la douane, de la santé, de la capitainerie, de la marine
marchande et des forces de l’ordre. Un navire peut être refusé à l’entrée en cas d’infractions répétées.
En tout premier lieu l’armateur doit faire une déclaration spéciale pour les marchandises
dangereuses4, infectes ou putrescibles, de préférence avant l'arrivée du navire (articles 3 et 15).
L'article 18 règle l’usage du port des points de vue de la protection contre la pollution, de la pratique
de la pêche et de l’entreposage des marchandises.
L'article 19 interdit à toute personne étrangère à l'équipage de larguer les amarres sans en avoir reçu
l'ordre.
Ensuite, il est prévu de définir pour chaque port les conditions de séjour à quai (article 20). Plus
précisément, cet article interdit à tout navire ou embarcation de servitude ou de plaisance de
stationner de façon permanente dans un port sans autorisation préalable.
Côté terre, l’article 22 aborde la question de l’admission des personnes, des animaux et des véhicules
dans la zone portuaire. Les articles 25 à 33 identifient les sanctions et prescrivent, en cas de récidive,
des peines cumulables. L'article 28 introduit l'élément intentionnel dans la faute. Il dispose en effet
que : «quiconque a intentionnellement détruit, abattu ou dégradé une balise, risque un
emprisonnement de six mois à trois ans …». Le texte insiste donc sur la sauvegarde de la
signalisation et interdit l’amarrage sur un feu flottant ou de jeter l'ancre alentours.
Les personnes habilitées à constater les infractions sont multiples : officiers de justice, employés
affectés à la surveillance, commandants des navires de l'État, capitaines des garde-pêches,
fonctionnaires de la Douane, éléments de la force publique et ingénieurs des Travaux Publics.
Pour clore ce paragraphe, je souhaite ajouter un mot : par un engagement personnel, fort et souple à
la fois, caractérisé par une continuité de vue et par une unité d’action, Monsieur l’Ingénieur Yves Bars
a laissé un héritage que le législateur d’aujourd’hui a été très heureux d’exploiter et d’adopter dans
l’urgence, une première fois en 2002 à l’occasion de la loi relative à la TMSA (article 8), et une
seconde fois en 2005 lors de l’élaboration de la loi 15-02 créant l’ANP (article 8).
2
Yves Jean Marie Bars est né le 23 novembre 1892 à Canatec dans le Finistère. Il est ingénieur du corps des ponts et chaussées, promotion 1913. En
raison des aléas de la première guerre mondiale (1914-1918), il n’achève ses études qu’en 1920. À sa sortie de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées
de Paris, il rejoint immédiatement le chantier de construction du port de Casablanca ; ce qui lui donne l’occasion de continuer le dessein de l’ingénieur
Delure concepteur de la grande digue, rebaptisée en juillet 1968, « Jetée Moulay Youssef ». Il travaille toujours en équipe ; de 1920 jusqu’à sa retraite, il
consacre son intelligence et ses forces au développement du port de Casablanca qu’il dirige à partir de 1932. Il n’est pas une partie de celui-ci à l’édification
de laquelle il n’ait collaboré, pas un de ses procédés de gestion si originaux qu’il n’ait mis au point lui-même. En 1933, il reçoit la décoration de l’Ordre du
Ouissam Alaouite Chérifien.
3
L’Opération Torch (Flambeau) désigne le débarquement amphibie allié du 8 novembre 1942 au Maroc et en Algérie. Minutieusement préparé, le débarquement a lieu le
8 novembre 1942 et 100 000 hommes dirigés par le général Eisenhower débarquent à Casablanca et Alger. Les troupes françaises de Vichy opposeront dans un premier
temps une résistance inattendue entraînant le bombardement du port par les avions de l'USS rangers, puis se rangeront du côté des Alliés. L'armistice signé le 12
novembre met fin aux combats. Dans une ultime riposte, le bombardement allemand du 30 décembre 1942 n’atteint aucun des objectifs.
4
De manière générale, la réglementation du transport maritime des matières dangereuses se réfère à la «Convention Internationale pour la sauvegarde de
la vie humaine en mer» de 1960 (règles 2 à 5) et à une classification établie par le comité des experts de l’ONU, classification inspirée de la réglementation
anglaise.
9
H. Le banquier sonne toujours deux fois
Depuis 1962, en raison de l’ignorance des choses de la mer et en l’absence totale de culture
portuaire, ceux qui président aux destinées des ports du Maroc ne parviennent pas à comprendre le
rôle crucial des capitaineries dans la consolidation des grands équilibres financiers et budgétaires de
notre système portuaire. Il faudra attendre pour cela l’intervention de la Banque Mondiale en 1984.
Pour comprendre de quoi il retourne, il faut tout d’abord s’imprégner du processus d’encaissement
des droits de ports et surtout du but de leur destination finale. Depuis 1932, c’est aux capitaineries
que revient la charge de calculer et de dresser le relevé de ces taxes. Pour cela, elles se basent sur le
délai d’attente au mouillage, le temps de séjour à quai, le volume du navire, le manifeste et le
connaissement. Le montant constaté est ensuite transmis au département des impôts qui émet le rôle
correspondant et en assure le recouvrement par le biais des bureaux de perception. Le total des taxes
ainsi collectées constitue ce que l’on appelle le budget annexe, destiné à être réinjecté pour financer
l’entretien des infrastructures portuaires.
Cela dit, à partir de 1964, le service maritime s’est trouvé entièrement livré à lui-même et réellement
délaissé : aucun texte de loi ne fait plus référence à l’existence des officiers de port, alors que de 1920
à 1961, l’entité de tutelle (DGTP) publiait périodiquement un mémorandum officiel pour réévaluer leur
métier du point de vue de l’accompagnement législatif, de la qualification professionnelle et de la
valorisation des salaires y compris les primes.
N’étant pas du tout encadré ni canalisé, le circuit de collecte des taxes devient inopérant, provoque de
gros désordres budgétaires et perturbe le travail des ports. Les déficits sont traités, à la fois, par le
relèvement des tarifs et par les subventions de l’État. Maintenu sous perfusion financière, le système
portuaire handicape la compétitivité des exportateurs, pénalise les usagers et éloigne
économiquement le pays de ses marchés traditionnels.
En 1980, une sécheresse agricole persistante mobilise une grande partie du budget de l’État. Il n’est
plus question de subventionner les ports. Alors, on se tourne vers la Banque Mondiale qui accepte
(1ère sonnerie) d’accorder un crédit, à la condition impérative de prendre en gage l’ensemble des
recettes portuaires.5 Autrement dit, elle subordonne l’attribution du prêt à la restructuration des
capitaineries dont elle exige qu’elles redeviennent des centres d’encaissement des droits de port. En
réponse, l’État crée, en 1984, un guichet unique : c’est l’Office d’Exploitation des Ports (ODEP). La
Banque Mondiale exige aussi la révision du statut des officiers de port. Pour satisfaire cette condition,
on actualise le texte de 1925 en se rabattant sur la notion très ancienne de Raïs Al Marsa,
modernisée sous l’appellation commandant de port (décret du 28 mars 1986, B.O. n° 3885).
Il faudra attendre l’année 2003 pour qu’intervienne une nouvelle impulsion. Cette fois, l’initiative vient
de l’Union Européenne. Elle accorde (2ème sonnerie) un don de 95 millions d’euros, à condition de
l’utiliser rapidement pour la mise à niveau du secteur des transports.6 On se réveille, on saute sur
l’occasion et, à la hâte, on réactive le dossier portuaire.
Les capitaineries se retrouvent à nouveau au coeur des enjeux portuaires. En 2005, on promulgue,
dans la précipitation, la loi 15-02 (B.O. n° 5378) qui étend leur autorité aux ports de pêche et de
plaisance. De plus, elles sont naturellement domiciliées au sein de l’agence nationale des ports créée
pour la circonstance. En fait, les dispositions adoptées ne font que reprendre le principe
préalablement retenu lors de la création de la TMSA (agence spéciale Tanger Méditerranée, décret du
10 Septembre 2002, B.O. n° 5040), à savoir la recon duction pure et simple du code de Monsieur
l’Ingénieur Yves Bars (Dahir du 28 avril 1961, B.O. n° 2533).
5
Prêts accordés à l’ODEP : prêt Mor 26 57 de 22 millions de dollars (année 1985), suivi du prêt Mor 33 84 de 99 millions de dollars (année 1987). Prêt
accordé à l’État : prêt Mor 32 84 de 33 millions de dollars (année 1991).
6
Cette aide directe non remboursable porte sur le financement du «Programme d'appui à la réforme des transports au Maroc» (secteurs aérien, routier,
maritime et portuaire). La convention prévoit un déboursement selon trois tranches, respectivement 39, 36 et 20 millions d'euros, selon le degré de
conformité aux critères arrêtés par l'Union Européenne. La durée d’exécution est de trois ans à partir de la date de la signature, c'est-à-dire à compter du 28
octobre 2003.
10
I. Résilience
Depuis 1260, la tradition marocaine témoigne de l’apport précoce des ancêtres des actuels officiers
de port du Maroc à l’exploitation portuaire.
Cependant, la force de cette contribution se situe à une autre échelle, à un autre niveau : il s’agit de
réparer l’avenir. Il est venu le temps d’apprendre à conserver pour transmettre. C’est le seul moyen de
maintenir un lien fertile entre nos ancêtres et nos enfants, de lancer le défi de la mémoire vivante et
de lutter contre l’oubli.
De plus, le redéploiement, autour de cette contribution majeure, donnera aux futures générations un
ancrage identitaire fort, profond et puissant. Il leur permettra ainsi de se réconcilier avec un passé
scientifique et technique, certes oublié ou méconnu, mais valeureux, qui a atteint une splendeur
inégalée vers le milieu du XXème siècle.
Face au retard portuaire accumulé par les responsables entre 1962 et 2010, cette mobilisation
guidera à nouveau nos valeureux officiers de port, avec une confiance ressourcée, vers les chemins
de la réhabilitation, du renouvellement et de l’innovation.
Dans ce sens, en 2008, les officiers de port du Maroc fondent une association, se dotent d’une vision
future tournée vers l’excellence, oeuvrent à la préservation du patrimoine portuaire, maintiennent une
veille technologique et militent pour faire évoluer les mentalités.7
Fait à Casablanca, le 20 juillet 2010.
7
Par Najib Cherfaoui, Ingénieur des ponts et chaussées
Résumé :
Depuis 1260, la tradition marocaine témoigne de l’apport précoce du génie des
ancêtres des actuels officiers de port du Maroc à la diversité portuaire et maritime
du monde : génie qui réside dans l'art d'organiser un corps de métier uni, parlant
plusieurs langues, partageant des valeurs, un passé et aussi un avenir solidaire.
Aujourd’hui, ce fabuleux héritage est mis en péril par l’ignorance des choses de la
mer et par l’absence totale de culture portuaire. Il est donc venu le temps
d’apprendre à conserver pour transmettre. C’est le seul moyen de maintenir un lien
fertile entre nos ancêtres et nos enfants, de lancer le défi de la mémoire vivante et
de lutter contre l’oubli.
Officiers de port du Maroc
Par Najib Cherfaoui, Ingénieur des ponts et chaussées
A. Métier très ancien
L’officier de port est le plus ancien des agents d’autorité : on le trouve dès l’Antiquité dans les
civilisations maritimes de la Méditerranée et de l’océan Indien.
Sans remonter au code de Hammourabi, roi de Babylone (1 800 ans avant J.C.) ou encore plus loin à
l'Égypte pharaonique (2 000 ans avant J.C.), on peut dire, sans doute, qu'à Athènes les
« Liménarques » (gouverneurs de port) sont les grands ancêtres des actuels commandants de port.
À partir de l’époque romaine, l’officier de port veille à l’intégrité du littoral et à son libre emploi par tous,
puisqu’il relève de la chose publique. À Pise en 1162, il porte le nom caractéristique de Capitanei portus. À
Gênes, il est Consul introitus maris, c'est-à-dire responsable de l’accès à la mer. À Mazagan, au XVème
siècle, il s’appelle « Alcaide do mar », littéralement chef de la mer.
Aujourd’hui, une même entité, «la capitainerie», regroupe le corps des officiers de port. Leur rôle est à peu
près le même partout dans le monde : organiser l’accueil des navires et de leurs chargements ; autoriser les
transbordements ; prévenir les déballastages sauvages ; affecter les postes de mouillage, d’amarrage et
d’accostage. Ils supervisent la sortie des matières dangereuses, encadrent la lutte contre la pollution et
instruisent les manoeuvres d’approche et de repérages VTS (Vessel Trafic Services). Enfin, ils ont la charge
essentielle de préparer les éléments de facturation relatifs aux droits de port sur les navires et les
marchandises.
B. Tradition marocaine
De 1260 à 1906, dans le contexte des côtes atlantiques marocaines, un port comprend deux zones : la rade
et le rivage terrestre, séparés par un haut-fond de sables, appelé barre. Ces deux parties sont reliées par
des barcasses, propriété du Sultan, et dédiées au chargement ou au déchargement des navires qui jettent
l’ancre à plus de 500 m de la côte. Par mer agitée, le déferlement de la houle sur la barre rend difficile, voire
impossible, le travail des barcassiers.
Tout au long de cette époque, l’administration générale des ports marocains repose sur le « Raïs Al Marsa »
ou capitaine du port et sur le receveur de la douane, « amine adiouana », nommés tous deux par le Sultan.
Le receveur, assisté par des préposés « oumana », vérifie les déclarations des commerçants et contrôle les
droits à encaisser sur les cargaisons.
En 1830, à Mogador, sous le règne du Sultan Moulay Abderrahmane, le Gouverneur cumule sa fonction
avec celle d’administrateur du port et de régisseur des taxes.
Son successeur, le Sultan Sidi Mohamed nomme en 1862, un ensemble de fonctionnaires pour superviser
et gérer les finances portuaires, ainsi à Mazagan (El Jadida) et à Mogador (Essaouira). Ils se composent du
Raïs (chef de port), de son adjoint et de quelques notaires (Adouls).
En 1901, le Sultan Moulay Abdelaziz confie au Caïd Ben M’Barek Chtouki la surveillance des côtes du
Sahara marocain, jusqu’aux confins de Cap Bojador (Boujdour).
Le Raïs s’occupe de la corporation des barcassiers et du traitement des navires. Il décide seul de
l’organisation du travail, de la répartition des barcasses entre les navires, de l’opportunité ou non de sortir
suivant l’état de la barre ; et règle entre les barcassiers tous les différends d’ordre privé. Sa décision,
3
irrévocable, est quoi qu’il en soit toujours acceptée. Les affaires courantes sont expédiées par le « Fquih »,
sorte de secrétaire du Raïs. Le Fquih est un lettré, qui tient les comptes, perçoit les frets et paye les salaires.
De plus, il a le devoir de calculer l’heure et la hauteur de la marée, chaque jour ; autrement dit, il est aussi
responsable du service hydrographique.
figure 1 : Dahir du Sultan Moulay Abdelaziz (20 avril 1901) par lequel il charge le Caïd Ben M’Barek Chtouki de la surveillance des côtes
sahariennes de la ville de Tarfaya à Cap Boujdour. Ce document témoigne de l’importance qu’accorde traditionnellement l’État marocain
aux choses de la mer.
Le Makhzen fournit le matériel nécessaire à l’aconage, et les gains correspondants sont partagés
entre les barcassiers.
Ainsi, la corporation de Salé comporte, à la fin du XIXème siècle, 200 marins qui arment 8 grandes
barcasses à 6 paires d’avirons ; celle de Casablanca dispose d’une dizaine de barcasses de 12 tonnes.
À Tanger, au début du XXème siècle, la manutention à bord est assumée par 80 bahriya (matelots),
dirigés par un Khalifa ; chaque barcasse est montée par cinq bahriya, le chef tient le gouvernail. Le
travail à terre est confié à 150 hammala (portefaix) sous les ordres de quatre moquadems.
On retiendra en substance que, dans le contexte marocain, les officiers de port ont assuré, du milieu
du XIIIème à la fin du XIXème siècle, la triple mission de recevoir les navires, de veiller aux
transbordements et de percevoir les droits de douane y compris les taxes de manutention. C’est la
raison pour laquelle ils devaient également diriger le service de l’aconage, c'est-à-dire gérer tous les
moyens en hommes (barcassiers, dockers, magasiniers, grutiers) et en matériels (barcasses,
remorqueurs, grues, stockage).
Cependant, durant la première décennie du XXème siècle, le corps des officiers de port sera
volontairement écarté, d’abord en raison de la convoitise du monde de la finance, puis à cause des
vicissitudes de la première guerre mondiale.
4
figure 2 : Abderrahman EI Alami, Raïs des barcassiers du port de Mazagan (El Jadida) et fidèle serviteur de l'aconage du 2 juin 1914 au
15 mars 1928.
C. Banques et arrogance (1904-1913)
Au cours de la première décennie du XXème siècle, les officiers de port du Maroc sont écartés au profit d’un
organisme de recouvrement bancaire totalement étranger aux choses de la mer : c’est le service de la
« Dette ». Ce mode de gérance, essentiellement financier et très éloigné de la profession portuaire, se
révèle désastreux. Cet épisode, certes singulier, mérite d’être conté car il montre l’importance d’accorder
aux capitaineries la nécessaire autonomie marine par rapport aux contingences terrestres.
Tout commence en 1904, lorsque le Sultan Moulay Abd El Aziz conclut un emprunt avec un Consortium de
bailleurs de fonds à la tête duquel se trouve la Banque de Paris et des Pays-Bas. En contrepartie, le
recouvrement des créances est directement prélevé sur les caisses des douanes et donne lieu à la
fondation, à Tanger, d'un organisme central appelé Emprunt Marocain. Ce dernier délègue alors un agent
dans chaque port afin de se faire remettre par les « Oumana » une partie des recettes.
L'Acte d'Algésiras, signé deux ans plus tard (1906), accroît l’emprise de l'Emprunt Marocain sur la
communauté portuaire. Les nouveaux contrôleurs, la plupart détachés des douanes tunisiennes, s’installent
dans tous les ports du Maroc (21 juillet 1906).
Trois ans plus tard, la Trésorerie étant à sec, le Makhzen charge le vizir El Mokri de négocier une rallonge
supplémentaire à Paris (14 août 1909), qui ne sera ratifiée que le 4 mai 1910. La Banque d'État du Maroc,
émanation de la conférence d’Algésiras, conclut alors avec le Sultan Moulay Hafid un prêt de 90 millions de
francs.
Pour l'exécution de ce nouveau contrat, on établit une Administration unique, appelée « Contrôle de la Dette
Marocaine » ou plus simplement « la Dette ». Usant de ses pouvoirs et de ses attributions, la Dette tente de
prendre en mains l'exploitation des ports en intégrant la surveillance maritime. En particulier, le service de
l’Aconage lui est subordonné. La tentative se solde par un échec, notamment en raison de l’inaptitude des
contrôleurs à maîtriser le segment marin, c'est-à-dire le métier de base des officiers de port. Plus
précisément, les agents de la Dette se révèlent incapables d’accéder aux navires pour inspecter les cales ;
5
ils ne peuvent donc pas vérifier la conformité du manifeste avec la quantité et la variété des marchandises
effectivement présentes à bord. Il s’ensuit des différences énormes entre les montants facturés et les
montants réels. En conséquence, le déficit devient chronique et la Dette finit par comprendre la nature
marine de son handicap, reconnaît son propre échec et décide, le 15 mai 1913, de s’en remettre aux
militaires.
figure 3: Derniers raïs marocains de Salé, actifs jusqu’à la fin du XIXème siècle ; fiers descendants des fameux corsaires.
D. Ordre militaire (1913-1915)
Après le retrait de la Dette, le service de l’Aconage passe sous la responsabilité de l’Officier de Marine
chargé de remplir les fonctions de Capitaine du Port, c'est-à-dire d’exécuter les tâches
traditionnellement effectuées par Raïs Al Marsa (articles 8 et 15 de l’Arrêté du 15 juin 1913 portant
réorganisation du Service de l’Aconage dans les ports de l’Empire Chérifien, B.O. n° 37). Ainsi, le
poste d’Officier de Port est confié à des militaires de carrière.
L’Arrêté distingue les bâtiments à vapeur et à voile ; il définit, selon cette classification, la clé de
réservation des barcasses et des mains, avec priorité aux dessertes régulières. Sous peine d’être
rejeté en fin de liste d’attente, on exige de tout navire le plein emploi des moyens mis à sa disposition
en respectant les cadences prescrites et les délais convenus.
Enfin, il est révélateur de constater que ce texte ne fait à aucun moment référence au corps des
officiers de port ou au concept de capitainerie : pour cela, il faudra attendre trois autres années,
c'est-à-dire le Dahir de 1916.
E. Regain (1916 ─1924)
Au milieu du conflit mondial (1914-1918) paraît le premier Dahir (7 mars 1916, B.O. n° 177) qui fait
clairement référence à l’Officier de Port et au maître de Port. Ils sont mis d’emblée sous les ordres de
l’Ingénieur du Port relevant de la DGTP (Direction Générale des Travaux Publics annoncée dès 1912,
B.O. n° 1 ; puis instituée par le Dahir du 24 juill et 1920, B.O. n° 409).
6
figure 2 : Au centre, tenant le manteau sur le bras, on voit Monsieur l’ingénieur Yves Bars, auteur du fameux code des ports de 1961.
Visionnaire, il favorise la participation des opérateurs privés en faisant du régime des concessions la règle. Il prolonge en cela la logique
inaugurée deux siècles plus tôt par le Sultan Sidi Mohamed Ben Abdallah. Il organise et facilite, à partir de 1943, le trafic des conteneurs à
destination du Maroc. (Photo prise le 29 janvier 1950 lors de l’inauguration des installations de l’Énergie Électrique du Maroc, ancêtre de
l’actuel ONE).
L’objet de ce Dahir consiste à doter le pays d’un code uniforme de police1 des bassins et des quais.
Sa composition est classique ; il s’agit de définir les droits et les devoirs des usagers : mouvement et
stationnement des navires, chargement et déchargement, lestage et délestage, incendie, matières
dangereuses, pénalités et infractions.
Cependant, en raison de la guerre, le texte reste muet sur la nature des activités du port (commerce,
plaisance ou pêche).
Toutefois, vu les circonstances, on a bien pris soin de rattacher directement la capitainerie à l’Officier
de Marine remplissant la fonction de Directeur du Port. L’ordre militaire continue donc de régner sur
les quais, mais cette disposition a le mérite de préparer l’avenir et d’anticiper le reversement
progressif de la chose portuaire dans le champ civil. D’ailleurs, l’article 2 admet explicitement la
nécessité de créer un cadre spécial d’Officiers et de Maîtres de port. En fait, leur existence légale ne
sera effectivement évoquée que quatre années plus tard dans l’Arrêté du 28 juillet 1920 portant
création de la DGTP (B.O. n° 409). Ils sont regroup és dans le cadre du service maritime spécial
(article 6). Cet article prévoit les grades, c'est-à-dire les paliers de qualification, et les classes, c'est-à-
1
D’une façon générale la loi distingue, en matière de police, la police du maintien de l’ordre, la police judiciaire (recherche des crimes et délits) et la police
administrative spéciale, qui sanctionne des infractions aux règlements en matière portuaire, domaniale, forestière ou aérienne pris « en vue d’assurer le
maintien de l’ordre public ». Il n’existe pas de définition nette de l’ordre public. On peut dire qu’il s’agit d’assurer la marche des services publics. Par ailleurs,
la distinction entre police judiciaire et police administrative n’est pas absolument tranchée et les polices empiètent les unes sur les autres. Parfois les
sanctions administratives et les sanctions judiciaires se cumulent. Ainsi, une infraction aux règles de police administrative spéciale, comme une atteinte au
balisage, peut donner lieu à des poursuites pénales qui nécessiteront l’intervention de la police judiciaire, ou demeurer une simple infraction objective
sanctionnée par une amende administrative. De plus, la multiplicité des polices dans les ports, les interférences entre services et la complexité des régimes
juridiques sont une source considérable de difficultés. Aujourd’hui, les officiers de port, même employés au sein d’une agence et rémunérée par elle,
interviennent en fait dans un cadre qui dépasse totalement cette agence : ils agissent en tant qu’agents dépositaires de l’autorité de l’État.
7
dire le degré d’ancienneté dans chaque grade : capitaine principal de 1ère ou 2ème classe, quatre
classes pour les capitaines et lieutenants. Cependant, de manière sommaire et arbitraire, l’article 15
dispose que les officiers de port sont recrutés parmi les officiers de la Marine, les capitaines au long
cours, ou les candidats justifiants de titres suffisants.
figure 3 : Port de Casablanca en 1924 ; barcassiers déchargeant des tonneaux et des sacs contenant du coton au moyen de grues à
vapeur de 2 tonnes.
F. Âge d’or (1925 ─ 1960)
Dans le sillage de ce début de reconnaissance, l’Arrêté du 20 juin 1925 (B.O. n° 663) conforte la
position de l’officier de port dans le paysage portuaire. Désormais, on lui attribue un uniforme tenant
compte de la saison, bleu en hiver, blanc ou kaki en été. L’emblème de la casquette se compose
d’une ancre incuse dans l’étoile du drapeau marocain. Des fils dorés symbolisent le grade ; ils sont
apposés sur la casquette et sur les manches, à raison de quatre traits pour les capitaines principaux,
trois pour les capitaines, deux pour les lieutenants, un pour les maîtres de port.
Cela étant, c’est à l’Arrêté du 15 mai 1930 que revient le mérite d’asseoir définitivement le statut de
l’Officier de port en termes de profilage, d’expérience et d’ancienneté. Le législateur a enfin fini par
comprendre le haut degré de qualification marine exigé par l’exercice de cette profession résolument
tournée vers les océans (article 22, p.617 du B.O. n° 916).
Dans le même esprit, l’Arrêté du 13 mai 1932 (B.O. n° 1023) traduit parfaitement cette prise de
conscience en accordant une minutieuse attention à l’habillement. Il reformule la texture de l’uniforme,
expose le concept de grande tenue avec épée d’apparat et introduit la notion de galons pour marquer
les grades.
8
G. Police des ports de commerce
En 1961, Monsieur l’ingénieur Yves Bars2 produit, sous forme de code, un travail majeur qui
synthétise trente années d’interrogations, de réflexions et de maturation nourries par la vie
mouvementée du port de Casablanca. Nous pensons en particulier aux bombardements de novembre
1942, tout à fait éprouvants, conséquence de la fameuse « Opération Torch »3.
Ce code, très élaboré, consacre la fonction d’officier de port. Il traite de la police dans l’enceinte des
ports de commerce du Maroc du point de vue de la circulation et du balisage. Il organise le référentiel
des exigences relativement aux navires (séjour, manutention, pollution, mesures contre l'incendie,
échouement dans les darses … ).
Toute embarcation est soumise au contrôle de la douane, de la santé, de la capitainerie, de la marine
marchande et des forces de l’ordre. Un navire peut être refusé à l’entrée en cas d’infractions répétées.
En tout premier lieu l’armateur doit faire une déclaration spéciale pour les marchandises
dangereuses4, infectes ou putrescibles, de préférence avant l'arrivée du navire (articles 3 et 15).
L'article 18 règle l’usage du port des points de vue de la protection contre la pollution, de la pratique
de la pêche et de l’entreposage des marchandises.
L'article 19 interdit à toute personne étrangère à l'équipage de larguer les amarres sans en avoir reçu
l'ordre.
Ensuite, il est prévu de définir pour chaque port les conditions de séjour à quai (article 20). Plus
précisément, cet article interdit à tout navire ou embarcation de servitude ou de plaisance de
stationner de façon permanente dans un port sans autorisation préalable.
Côté terre, l’article 22 aborde la question de l’admission des personnes, des animaux et des véhicules
dans la zone portuaire. Les articles 25 à 33 identifient les sanctions et prescrivent, en cas de récidive,
des peines cumulables. L'article 28 introduit l'élément intentionnel dans la faute. Il dispose en effet
que : «quiconque a intentionnellement détruit, abattu ou dégradé une balise, risque un
emprisonnement de six mois à trois ans …». Le texte insiste donc sur la sauvegarde de la
signalisation et interdit l’amarrage sur un feu flottant ou de jeter l'ancre alentours.
Les personnes habilitées à constater les infractions sont multiples : officiers de justice, employés
affectés à la surveillance, commandants des navires de l'État, capitaines des garde-pêches,
fonctionnaires de la Douane, éléments de la force publique et ingénieurs des Travaux Publics.
Pour clore ce paragraphe, je souhaite ajouter un mot : par un engagement personnel, fort et souple à
la fois, caractérisé par une continuité de vue et par une unité d’action, Monsieur l’Ingénieur Yves Bars
a laissé un héritage que le législateur d’aujourd’hui a été très heureux d’exploiter et d’adopter dans
l’urgence, une première fois en 2002 à l’occasion de la loi relative à la TMSA (article 8), et une
seconde fois en 2005 lors de l’élaboration de la loi 15-02 créant l’ANP (article 8).
2
Yves Jean Marie Bars est né le 23 novembre 1892 à Canatec dans le Finistère. Il est ingénieur du corps des ponts et chaussées, promotion 1913. En
raison des aléas de la première guerre mondiale (1914-1918), il n’achève ses études qu’en 1920. À sa sortie de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées
de Paris, il rejoint immédiatement le chantier de construction du port de Casablanca ; ce qui lui donne l’occasion de continuer le dessein de l’ingénieur
Delure concepteur de la grande digue, rebaptisée en juillet 1968, « Jetée Moulay Youssef ». Il travaille toujours en équipe ; de 1920 jusqu’à sa retraite, il
consacre son intelligence et ses forces au développement du port de Casablanca qu’il dirige à partir de 1932. Il n’est pas une partie de celui-ci à l’édification
de laquelle il n’ait collaboré, pas un de ses procédés de gestion si originaux qu’il n’ait mis au point lui-même. En 1933, il reçoit la décoration de l’Ordre du
Ouissam Alaouite Chérifien.
3
L’Opération Torch (Flambeau) désigne le débarquement amphibie allié du 8 novembre 1942 au Maroc et en Algérie. Minutieusement préparé, le débarquement a lieu le
8 novembre 1942 et 100 000 hommes dirigés par le général Eisenhower débarquent à Casablanca et Alger. Les troupes françaises de Vichy opposeront dans un premier
temps une résistance inattendue entraînant le bombardement du port par les avions de l'USS rangers, puis se rangeront du côté des Alliés. L'armistice signé le 12
novembre met fin aux combats. Dans une ultime riposte, le bombardement allemand du 30 décembre 1942 n’atteint aucun des objectifs.
4
De manière générale, la réglementation du transport maritime des matières dangereuses se réfère à la «Convention Internationale pour la sauvegarde de
la vie humaine en mer» de 1960 (règles 2 à 5) et à une classification établie par le comité des experts de l’ONU, classification inspirée de la réglementation
anglaise.
9
H. Le banquier sonne toujours deux fois
Depuis 1962, en raison de l’ignorance des choses de la mer et en l’absence totale de culture
portuaire, ceux qui président aux destinées des ports du Maroc ne parviennent pas à comprendre le
rôle crucial des capitaineries dans la consolidation des grands équilibres financiers et budgétaires de
notre système portuaire. Il faudra attendre pour cela l’intervention de la Banque Mondiale en 1984.
Pour comprendre de quoi il retourne, il faut tout d’abord s’imprégner du processus d’encaissement
des droits de ports et surtout du but de leur destination finale. Depuis 1932, c’est aux capitaineries
que revient la charge de calculer et de dresser le relevé de ces taxes. Pour cela, elles se basent sur le
délai d’attente au mouillage, le temps de séjour à quai, le volume du navire, le manifeste et le
connaissement. Le montant constaté est ensuite transmis au département des impôts qui émet le rôle
correspondant et en assure le recouvrement par le biais des bureaux de perception. Le total des taxes
ainsi collectées constitue ce que l’on appelle le budget annexe, destiné à être réinjecté pour financer
l’entretien des infrastructures portuaires.
Cela dit, à partir de 1964, le service maritime s’est trouvé entièrement livré à lui-même et réellement
délaissé : aucun texte de loi ne fait plus référence à l’existence des officiers de port, alors que de 1920
à 1961, l’entité de tutelle (DGTP) publiait périodiquement un mémorandum officiel pour réévaluer leur
métier du point de vue de l’accompagnement législatif, de la qualification professionnelle et de la
valorisation des salaires y compris les primes.
N’étant pas du tout encadré ni canalisé, le circuit de collecte des taxes devient inopérant, provoque de
gros désordres budgétaires et perturbe le travail des ports. Les déficits sont traités, à la fois, par le
relèvement des tarifs et par les subventions de l’État. Maintenu sous perfusion financière, le système
portuaire handicape la compétitivité des exportateurs, pénalise les usagers et éloigne
économiquement le pays de ses marchés traditionnels.
En 1980, une sécheresse agricole persistante mobilise une grande partie du budget de l’État. Il n’est
plus question de subventionner les ports. Alors, on se tourne vers la Banque Mondiale qui accepte
(1ère sonnerie) d’accorder un crédit, à la condition impérative de prendre en gage l’ensemble des
recettes portuaires.5 Autrement dit, elle subordonne l’attribution du prêt à la restructuration des
capitaineries dont elle exige qu’elles redeviennent des centres d’encaissement des droits de port. En
réponse, l’État crée, en 1984, un guichet unique : c’est l’Office d’Exploitation des Ports (ODEP). La
Banque Mondiale exige aussi la révision du statut des officiers de port. Pour satisfaire cette condition,
on actualise le texte de 1925 en se rabattant sur la notion très ancienne de Raïs Al Marsa,
modernisée sous l’appellation commandant de port (décret du 28 mars 1986, B.O. n° 3885).
Il faudra attendre l’année 2003 pour qu’intervienne une nouvelle impulsion. Cette fois, l’initiative vient
de l’Union Européenne. Elle accorde (2ème sonnerie) un don de 95 millions d’euros, à condition de
l’utiliser rapidement pour la mise à niveau du secteur des transports.6 On se réveille, on saute sur
l’occasion et, à la hâte, on réactive le dossier portuaire.
Les capitaineries se retrouvent à nouveau au coeur des enjeux portuaires. En 2005, on promulgue,
dans la précipitation, la loi 15-02 (B.O. n° 5378) qui étend leur autorité aux ports de pêche et de
plaisance. De plus, elles sont naturellement domiciliées au sein de l’agence nationale des ports créée
pour la circonstance. En fait, les dispositions adoptées ne font que reprendre le principe
préalablement retenu lors de la création de la TMSA (agence spéciale Tanger Méditerranée, décret du
10 Septembre 2002, B.O. n° 5040), à savoir la recon duction pure et simple du code de Monsieur
l’Ingénieur Yves Bars (Dahir du 28 avril 1961, B.O. n° 2533).
5
Prêts accordés à l’ODEP : prêt Mor 26 57 de 22 millions de dollars (année 1985), suivi du prêt Mor 33 84 de 99 millions de dollars (année 1987). Prêt
accordé à l’État : prêt Mor 32 84 de 33 millions de dollars (année 1991).
6
Cette aide directe non remboursable porte sur le financement du «Programme d'appui à la réforme des transports au Maroc» (secteurs aérien, routier,
maritime et portuaire). La convention prévoit un déboursement selon trois tranches, respectivement 39, 36 et 20 millions d'euros, selon le degré de
conformité aux critères arrêtés par l'Union Européenne. La durée d’exécution est de trois ans à partir de la date de la signature, c'est-à-dire à compter du 28
octobre 2003.
10
I. Résilience
Depuis 1260, la tradition marocaine témoigne de l’apport précoce des ancêtres des actuels officiers
de port du Maroc à l’exploitation portuaire.
Cependant, la force de cette contribution se situe à une autre échelle, à un autre niveau : il s’agit de
réparer l’avenir. Il est venu le temps d’apprendre à conserver pour transmettre. C’est le seul moyen de
maintenir un lien fertile entre nos ancêtres et nos enfants, de lancer le défi de la mémoire vivante et
de lutter contre l’oubli.
De plus, le redéploiement, autour de cette contribution majeure, donnera aux futures générations un
ancrage identitaire fort, profond et puissant. Il leur permettra ainsi de se réconcilier avec un passé
scientifique et technique, certes oublié ou méconnu, mais valeureux, qui a atteint une splendeur
inégalée vers le milieu du XXème siècle.
Face au retard portuaire accumulé par les responsables entre 1962 et 2010, cette mobilisation
guidera à nouveau nos valeureux officiers de port, avec une confiance ressourcée, vers les chemins
de la réhabilitation, du renouvellement et de l’innovation.
Dans ce sens, en 2008, les officiers de port du Maroc fondent une association, se dotent d’une vision
future tournée vers l’excellence, oeuvrent à la préservation du patrimoine portuaire, maintiennent une
veille technologique et militent pour faire évoluer les mentalités.7
Fait à Casablanca, le 20 juillet 2010.
7
Association des Commandants et Officiers des Ports du Maroc (ACOPM), fondée le 26 août 2008.
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